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  Celle qui n'en pouvait plus

Premier prix du concours de nouvelles des Appaméennes du livre 2017

«C’EST L’HISTOIRE D’UNE NOTE.… qui en a marre… et même plus que marre de sa situation et qui voudrait bien en changer. »

Voilà comment elle résumait son problème du moment. Et n’étant pas capable de le régler toute seule, elle décida de consulter le Grand Diapason qui régnait en Maître sur toute la musique.

— Voici, Grand Maître, je ne suis pas une note heureuse, commença-t-elle.

— Je ne comprends pas, répondit la Haute Autorité. J’ai consulté votre dossier et personne ne vous a jamais accusée d’avoir un jour été une fausse note.

— Je sais, je sais ! Je me suis toujours efforcée d’être dans la note, comme on dit.

— C’est bien ce qui est indiqué dans le rapport que j’ai sous les yeux. D’après ce que je lis, vous n’avez jamais non plus forcé la note. Vous êtes restée égale à vous-même, dans le ton juste et on ne peut que vous en féliciter.

— Ça aussi je le sais. Il n’empêche que…

— Rappelez-moi, je vous prie, où vous vous situez exactement dans l’échelle des notes.

— Je suis le « LA ». A ce titre me revient l’honneur, avant chaque morceau, de donner la note.

— Et ce rôle n’est pas confié à n’importe qui, fit remarquer le Grand Diapason. Vous êtes de toute évidence la note la plus importante de la gamme. A ce titre vous avez toute notre confiance et je ne vois vraiment pas où se situe votre problème.

Elle réfléchit un instant.

— Ce qui me gêne, c’est que d’un jour à l’autre ou plus exactement d’un morceau à un autre je ne suis jamais la même.

— Que voulez-vous dire ?

— Un jour je suis une blanche, un jour je suis une noire. Je ne sais donc jamais où me situer. Si une fois pour toutes je pouvais être une simple petite métisse, cela me conviendrait amplement. Vous comprenez mon problème ?

— Pas trop, non !

— Mais si ! Parfois, dans la même portée, on peut me trouver sous des couleurs différentes. Ça complique et ça me perturbe. Et pour couronner le tout je peux aussi, par un coup de baguette magique, me transformer en une bonne grosse ronde et je déteste grossir ! Tous ces changements me sont insupportables. Je rêve de stabilité, cher Maître. Alors.qu’on décide une fois pour toutes si je dois être blanche, noire, ronde, pointée ou pas. Voilà ce que je souhaiterais. Mais autant uriner dans un Stradivarius ! Vous commencez à saisir pourquoi je suis perturbée ?

— C’est tout ? demanda le Grand Diapason.

— Non ! Il y a encore la promiscuité forcée que je redoute plus que tout.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire que j’en ai marre de me retrouver accrochée à certaines semblables. Je veux parler bien sûr, des croches, des doubles ou des triples croches. Systématiquement je me retrouve coincée entre un sol et un si. Vous croyez que c’est drôle de toujours voir les mêmes tronches, surtout quand on n’a aucune affinité ? Liées les unes aux autres pour les besoins du service, ça peut passer pour un temps, mais certainement pas pour une éternité. Alors, moi, je dis… STOP… BASTA… maintenant… ÇA SUFFIT !

— Vous voulez donc quitter la gamme une fois pour toutes ?

— Exact. J’ai envie de respirer, de m’aérer les neurones. La musique, c’est bon ! J’ai donné ! Je ne veux plus en entendre, ni en entendre parler.

— Voilà au moins qui est clair, reconnut le Grand Diapason. Je résume donc la situation : Le « LA » veut nous quitter. Ce qui va faire un grand vide dans toutes les partitions et poser un léger problème à tous les compositeurs qui s’étaient bêtement habitués à sa présence. Cela ne vous gêne pas de provoquer une telle perturbation ?

— Pas du tout ! Et si je suis ici ce n’est certainement pas pour me faire admonester d’une façon ou d’une autre, mais pour rechercher avec vous, Grand Maître, un changement d’affectation.

— Message bien reçu ! répondit celui-ci. Mais je pense que ce ne sera pas facile.

— Diable, il n’y a pas qu’en musique qu’on a besoin de notes, me semble-t-il. Qu’avez-vous à me proposer ?

Le Grand Diapason rechercha sur son ordi les offres d’emploi du jour, susceptibles d’être proposées à une note en pleine rébellion.

— Seriez-vous intéressée par un contact avec le public ?

— Dans ce cas vous me proposeriez quoi ?

— De travailler par exemple dans la restauration.

— Je suis nulle en cuisine.

— Il ne s’agirait nullement d’être derrière les fourneaux, mais d’intervenir en fin de repas.

— Et sous quelle forme ?

— Comme note de restaurant, bien entendu. A ce titre, si vous travaillez dans des

établissements de luxe, vous aurez un certain poids. Il faut savoir que chez eux la note est souvent salée, ça ne vous gênera pas ?

— Pas du tout. Je n’aime pas le sel mais je m’y habituerai.

— Bien ! Et si vous faites l’affaire, vous pourrez très bien monter en grade et passer du restaurant de l’hôtel à l’hôtel lui-même.

— Et j’interviendrai quand ?

— Toujours à la fin d’un séjour. Vous serez celle qui met, par exemple, le point final à une semaine de rêve entre un vieux monsieur très riche et une ravissante demoiselle pauvre. Vous deviendrez une note d’hôtel. Et dans certains palaces elles atteignent des sommets. Ce sera le must de votre carrière. Ça vous plairait ? Vous seriez en contact avec les cartes « Gold » ou « Premium » les plus prisées ! Vous pourriez côtoyer les people de ce monde. C’est une situation enviable que nous vous proposons là.

— Ouais, pas mal ! Ce serait toujours plus gratifiant que de finir comme une simple note de gaz ou d’électricité. Ces deux-là font toujours bondir ceux qui les reçoivent.

— C’est vrai que dans ce domaine vous seriez rarement appréciée. Vous seriez même le plus souvent rejetée ou au moins contestée. Vous avez déjà eu des problèmes avec la musique, ce n’est donc pas la peine d’en rajouter.

— Et à part cela, c’est tout ce que vous avez en réserve ? Cherchez bien ! Grand Diapason chercha.

— Devenir simplement une note de service vous tenterait-il ?

— Pour rappeler aux ouvriers qu’ils doivent travailler dans la joie, ne pas quitter l’usine avant l’heure prévue et ne pas aller aux toilettes tous les quarts d’heure ? Non merci ! J’aurais vraiment trop la honte ! Passons à autre chose.

— Je suppose qu’être une simple note en bas de page ne vous conviendrait pas non plus ?

— Faut voir ! Si c’est de la main d’un grand écrivain célèbre qui passe à « La Grande Librairie », je ne dis pas non. Surtout si, en plus, je suis joliment manuscrite. Mais il faut bien reconnaître que c’est tout de même une activité très relative. Tant qu’à choisir, j’aimerais mieux quelque chose de plus actif.

— Dans ce cas, vous pourriez faire dans l’humanitaire. Vous êtes une âme sensible et je vous vois très bien dans ce domaine.

— Sous quelle forme ?

— Vous iriez par exemple dans les hôpitaux voir les grands malades. Et là, vous leur diriez que rien n’est perdu. Que leur cancer n’est pas encore terminé et qu’il faut donc rester confiant dans l’avenir. Vous seriez en quelque sorte une note d’espoir.

— Ce n’est pas très gai votre truc ! Ça risque de me donner le bourdon !

— Eh bien, vous n’auriez qu’à leur raconter des choses drôles, des histoires hilarantes et désopilantes. Vous seriez à leurs yeux une note de gaieté, peut-être même la seule de leur journée. Pensez-y. C’est un rôle non négligeable que vous pourriez jouer.

— Bof !!! Ça ne me tente pas des masses. C’est vraiment tout ce que vous avez en stock ?

— Non ! Il me reste une toute dernière orientation possible. Vous pourriez travailler en milieu scolaire… si le cœur vous en dit.

— Ah surtout pas ! Me transformer en bonne ou mauvaise note toute la journée et pourrir la vie de ces pauvres gamins. Pas question ! Je ne suis pas une sadique. Et en plus me retrouver avec toutes mes semblables sur un bulletin de notes. Ça non ! J’ai quitté la musique parce que je ne supportais plus leur voisinage, ce n’est pas pour les retrouver à la fin de chaque trimestre. Non, vraiment, le milieu scolaire, très peu pour moi !

— Comme il vous plaira, mais il va falloir maintenant vous décider, car je n’ai plus rien à vous proposer.

Elle hésita un long moment.

— Je vais réfléchir encore un peu, annonça-t-elle. Après tout et tout bien considéré, je crois que je vais peut-être rester encore un peu dans le domaine musical. Je vous remercie, Grand Maître, de vos précieux conseils et de m’avoir accordé un peu de votre temps précieux.

Le Grand Diapason lui fit un très gentil sourire avant d’ajouter :

— Je suis heureux d’avoir pu contribuer à vous aider. Mais avant que vous ne partiez, je me permets de vous rappeler que la consultation n’était nullement gratuite et que toutes les recherches que j’ai entreprises pour vous trouver un nouvel emploi, n’étaient pas gratuites non plus. Je vous présente donc une note que vous semblez ignorer et qu’il me serait très agréable que vous puissiez régler sans plus tarder.

Voici donc ma petite NOTE DE FRAIS !!!

 

Bernard Marsigny, de Marcoux, Loire

 

 

16.06.2017 Le salon  | Le concours de nouvelles | L'actualité |