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d'griffes dans l'contrat
Premier prix
du concours de nouvelles
des Appaméennes du livre
2009
AVOUEZ que le
secret avait été bien gardé. Pourtant, elle commença
à nourrir des soupçons plus tôt que prévu.
Certes, au début, ses soupçons, elle ne les nourrit que
du bout de la cuillère, à l'anorexique, en quelque sorte.
C'était discret. Bien anodin. Mais, au fil du temps, elle eut la
main de plus en plus lourde, et les soupçons en eurent la panse
pleine et tendue comme des petits bidons de chatons tout ronds. Il fallait
que je me reprenne, que je l'entourloupe, et la chaloupe jusqu'à
anéantissement définitif de ses doutes dodus.
II est dur de paraître
ce que l'on n'est pas. Cacher sa véritable nature est un travail
de tous les instants qui nécessite une vigilance permanente. C'est
un véritable labeur, avant de devenir... une seconde nature ! J'avais
si souvent joué à tromper, que j'excellais : maître
es duperies, j'étais, et comptais bien le rester. Aussi, pour un
temps, je redevins câlin, charmant, ronronnant des mots de velours
dont la douceur lénifiante n'avait pour but que d'endormir sa méfiance.
Elle ne demandait qu'à croire à mon affection, au point
d'en oublier la sonnette d'alarme de sa raison. C'était tout bon
!
Aussi, à quelques temps de là, je pus,
en toute sécurité, recommencer mes... facéties programmées.
Un matin, je tombai sur le flanc, me tordant, miaulant à fendre
l'âme. Elle fonça chez le vétérinaire, lequel
diagnostiqua un calcul urinaire. C'est vrai que j'étais calculateur.
Il est vrai aussi, qu'après calcul, lorsqu'il lui annonça
qu'il lui soutirait trois cents euros, tout se passa très bien,
sans protestation aucune.
— Je le garde deux jours, annonça
l'homme de l'art animalier, et je vous le rends requinqué. Par
contre, je vous conseille vivement d'arrêter de le nourrir avec
ces cochonneries bon marché de supermarché. Vous trouverez
ici de la bonne croquette de régime qui protégera votre
matou préféré de tout risque de récidive.
Enfin... c'est comme vous voulez, je ne vous pousse pas à la consommation,
mais, je suppose que vous ne souhaitez plus le voir souffrir ainsi...
Ah, il était fort, le véto ! Avec sa
technique de culpabilisation alliée à son charme latino,
il parachevait d'une main experte le travail d'emberlificotage que mes
talents de comédien né avaient initié ! Il faut reconnaître
que nous faisions une belle paire d'aigrefins. Surtout lui d'ailleurs,
car moi, je préférais de loin Péglefîn. Je
passai les deux jours suivants à tomber le masque chez mon compère
vétérinaire. Je fus teigneux comme ma nature m'y inclinait,
crachant ma haine, poils électrisés, sur les eunuques ou
les estropiés encagés. Des loosers à quatre pattes
! Incapables d'attraper le destin par les cheveux et de le plier à
leur volonté ! Méprisables !
Quand elle revint me chercher, je levai sur elle
des yeux emplis d'amour et embrumés de souffrance qui la firent
fondre illico. Elle se mit à me saupoudrer de paroles dégoulinantes
d'amour bêtifié. J'en eus le poil tout englué. C'était
visqueux à me délester de toute dignité féline
! Mon compère, quant à lui, la délesta du prix de
deux paquets de croquettes de régime pour chats fragiles de la
tuyauterie. Quatre-vingt-huit euros. Il se délecta. S'il en avait
eu une, il se serait frisé la moustache. A défaut, il envia
la mienne.
Et je repartis. Chez la dinde au cœur tendre, si facile à
duper. Et le petit jeu recommença. Je lui explosai ses nuits avec
mes miaulements épars et dissonants, demandant à sortir,
puis griffant les volets âprement vers les cinq heures du matin
: tout ce tohu-bohu orchestré pour finir par m'oublier dans ses
pots de plantes vertes ! A ce stade, entre nous, cela devint vite luttes
intestines et intestinales. Après quelques nuits fort blanches
et quelques jours très olfactifs, la dame, petite joueuse, capitula
et nous retournâmes chez notre vétérinaire préféré.
Quel plaisir de retrouver mon larron en foire à
l'arnaque ! Néanmoins, il était urgent de faire un point
de la situation. En effet, j'avais l'intime conviction qu'un ulcère
de l'estomac, avec son poids en vomis dispatchés et son comptant
d'euros associés, serait l'ultime "soudoiement" que nous
pouvions escompter. Nous ne pourrions vraisemblablement pas pousser jusqu'à
la rumeur cérébrale, juteuse pourtant en plaisirs sardoniques
et contentements sonnants et trébuchants. Mais, une mauvaise appréciation
de la situation risquait de faire capoter notre entente cordiale. Il était
hors de question que la dame se remette à donner la pâtée
à ses doutes une fois de plus. Outre ma peau, je risquais mon pelage.
Quant à la réputation de mon acolyte... danger ! Sans parler
des traites de son bateau à rembourser... La sagesse nous conseillait
de changer d'air très bientôt. Nous en convînmes aisément.
Aussi, fort de cette judicieuse décision, quelques
jours plus tard, c'est tout à fait serein que je regagnai pour
la dernière fois le domicile de la bipède au cœur shamallow
et à la cervelle guimauve. Après broutage savant d'herbes
tendres, je lançai l'ultime phase « problèmes
gastriques » à grands coups de rejets acides en visant
sournoisement le cuir tendre des canapés pourprés. Je hoquetais,
cacochyme, je haletais, valétudinaire. Illico, elle m'enfourna
derechef dans la caisse de transport direction Moncompère. Sa réactivité
me laissa quelque peu pantois : je n'avais même pas eu le temps
d'exprimer toute la mesure de mon art dans ce rôle de malade imaginaire
dans lequel je triomphais d'habitude. L'avais-je joué trop théâtral
?
Dans la voiture, j'exprimai mes doutes d'une voix
éraillée et lancinante. D'un œil torve, je la surveillai
dans le rétroviseur. Son sourire me désarma. Habituellement,
la raucité de mes miaulements vrille les nerfs des plus apathiques,
et les nerveux se retrouvent au bord de l'hystérie. Elle, elle
souriait. C'était un sourire léger, rêveur, un brin
romantique... c'était un sourire amoureux! Se pouvait-il qu'elle
soit tombée en pâmoison pour Mon véto, mon complice,
cet escroc abject assoiffé d'euros ? Se pouvait-il que mon agonie
feinte lui offre un formidable prétexte pour revoir l'affreux jojo
?
C'est pile à ce moment-là que la peur germa en moi comme
un ténia s'épanouissant en tripes. Ça me bloqua un
miaulement du plus bel effet en plein milieu de la glotte. Je la regardai
plus attentivement. La garce ! Elle avait incontestablement des atouts
en bonnet C et en joli minois. Oh, ce n'était pas bon pour moi,
tout ça !
Je le confesse, je n'en menais pas large lorsque nous
débarquâmes dans le cabinet de celui que je considérais
pourtant encore comme mon associé. J'avais les oreilles, la queue
et le moral en berne. J'exsudais la peur, tétanisé. On aurait
dit... un vulgaire petit minou convoqué pour sa vaccination annuelle
chez le vétérinaire !
J'avais, hélas, bien raison de m'angoisser
! Dès la porte franchie, ces deux-là n'eurent plus d'yeux
que l'un pour l'autre. Et moi ? Allais-je écouter leurs marivaudages
bêtifiés sans réagir ? Certes pas ! Pour attirer l'attention,
je m'affalai sur l'escarpin menu en bavant fétide. Rien n'y fit.
J'allai me frotter aux pantalons de mon acolyte essayant de le ramener
à la raison. Rien n'y fit. Au-dessus de ma caboche, les deux transis
d'amour exécutaient un savant ballet tout de regards minaudés
et d'yeux baladeurs. Des rires cascadaient et dégouttaient sur
ma fourrure. C'était dégoûtant !
Mais bon sang ! Comment mon maître pouvait-il
tomber dans un piège aussi grossier et faire fi aussi vite de notre
association ? C'était pourtant bien lui qui avait eu l'idée
de monter notre micro-entreprise, de profiter de mes dons de comédien
pour me fourguer à chaque client dont il devait euthanasier le
matou. Je jouais le malade, il empochait les royalties. Chacun respectait
loyalement son contrat. Pas de placement dans des familles avec enfants
tireurs de moustaches. On a sa dignité tout de même ! Pas
de logement en appartement. On tient à sa qualité de vie
! Pas de promiscuité canine. On tient à sa peau ! Tout
fonctionnait si bien.... et
voilà que j'assistais impuissant à la grande parade nuptiale
des homo sapiens ! Et voilà que mon binôme en grugeage préférait
une attirance bêtement hormonale à notre affection complice
tissée de vilenies jubilatoires. L'ingratitude humaine... j'en
feulai de rage et de désespoir.
A ce glapissement glacé, ils s'inclinèrent
tous deux vers moi. Enfin, pensai-je, je redeviens le nombril du monde.
Mais leurs regards acérés et entendus semblaient m'envisager
plutôt comme une épine au pied ou une pustule au nez. Je
me mis à craindre le pire. Oui, le pire ! Le pire que pendre...
Aujourd'hui, je me retrouve lové sur un des
canapés rougeâtres de Madame, celui, d'ailleurs, que j'ai
signé à coups d'acide gastrique. Au bon vieux temps. Au
temps où je n'étais pas chat de salon... molle guimauve
bouffie et somnolente... Aujourd'hui, je végète et rumine
mon destin funeste !
Ce qu'il s'est passé ? Ce qu'il s'est passé
après qu'ils eurent fondu sur moi et m'eurent lâchement injecté
une double dose d'anesthésiant ? Ah ça non ! N'y pensez
pas ! Et remballez vite ce sourire sarcastique ! C'est un secret que je
n'avouerai jamais ! On a sa dignité, tout de même !
Christine Nicolaus, Avignon |