Vers la page d'accueil

APPAMÉENNES DU LIVRE

Vers le salon du livreLe salon

Vers les cafés littérairesLes cafés littéraires

Vers la présentation de l'associationL'association

Vers la présentation de l'associationL'actualité

Pour envoyer un message à l'association Contact

Plume de stylo  La dernière tasse

Premier prix
du concours de nouvelles
des Appaméennes du livre 2009
(jeunes espoirs, 16-18 ans)

AVOUEZ que le secret avait été bien gardé. Pourtant, depuis quinze ans... et là encore aujourd'hui...

 

Premier lundi de juillet, la semaine débute pour moi à l'Albatros, café du vieux port à Marseille. Comme chaque matin, sous le réveil des cigales et dans une atmosphère à peine rafraîchie par les flots méditerranéens, j'apprécie ma tasse de café quotidienne. Marius, le serveur, connaît mes habitudes. Cela fait près de dix ans que je passe mes matinées ici, seule. J'attends. Pour moi, ce n'est ni capuccino, ni expresso, mais un simple café allongé. Sans cette boisson envoûtante dans sa robe dorée, ma journée perdrait tout son sens. Mon amour pour le café se double du fait que je possède un don : à travers lui, je lis l'avenir.

 

J'ai 15 ans. Je suis seule dans la cuisine, buvant un café, l'année de mes premiers cafés. Mon frère aîné est à l'étage. Soudain, je le découvre avec stupéfaction au fond de l'infini noir, un revolver dans la main gauche. Puis tout se trouble. Une détonation d'arme à feu. Et plus rien. Effrayée j'ai gravi ce jour-là l'escalier à vive allure. Trop tard... sur le palier gisait le corps dénué d'expression de mon malheureux frère, la main droite sur le cœur, un revolver dans la gauche. Tout s'était déroulé comme dans le fond de la tasse. Le mal était fait.

 

J'ai 17 ans. Un matin. Je ne le sais pas encore mais cette journée va de nouveau tourner au drame. Depuis deux ans ma mère est sous le choc du suicide de mon frère. Cependant je n'ai pas renoncé à mon café habituel, j'aurais peut-être du. La vision que j'eus ce jour-là, je m'en souviens encore... Affreuse. Une corde et...

Ah ! Ma pauvre maman, tu n'as pas su garder les pieds sur terre !

 

J'ai 24 ans. Je suis mère depuis trois ans. Ce matin-là mon fils veut jouer à cache-cache : Compte maman !

Bien sûr je vais « compter », et bien sûr cela se passe devant mon café.

Un, deux, trois, quatre, cinq, six...

Je commence à boire. Une gorgée. Une deuxième. Soudain, je sursaute, je viens de voir mon fils, livide, les yeux clos, immergé dans le breuvage. Prise de panique, je crie, je l'appelle, lui demande de sortir de sa cachette.

Je n'eus pas de réponse. Jamais de réponse. Une heure plus tard, la maison, le jardin et la rue fouillés de fond en comble, un cri poussé par la voisine me glaça le sang : j'ai toujours su que la construction de leur bassin était une mauvaise idée.

 

J'ai 26 ans. Mon mari vient de demander le divorce. Sa raison ? Je porte malheur et suis coupable de la mort de notre fils. Enfin... c'est ce qu'il dit. Il ne sait pas combien je souffre de ce décès. Il me quitte. La vision que j'ai eue aujourd'hui ne m'a donc pas rendue malheureuse. Son enterrement aura lieu la semaine prochaine.

 

30 ans déjà ! Je viens de fêter mon anniversaire avec mon père. Il est la seule personne qui me reste. Toujours prêt à rendre service, il est venu ce jour-là pour refaire le câblage d'une prise électrique du salon. Pendant qu'il achève son travail, je sers le café. A peine versé dans la tasse, le sombre liquide est de nouveau perturbé. Je tremble. Je refuse de voir qui sera la dernière victime de ma malédiction. Ce café que j'aime tant aura été la cause de tous mes malheurs. Mon secret maléfique.

 

Quinze ans ! Quinze ans que je porte le deuil de tous ces innocents, dont je n'ai pas souhaité la mort. Quinze ans que j'attends ce moment. Enfin ! Je le sais, je le vois, c'est à mon tour, ce sera ma dernière goutte.

 

Thibault Langlet, Beaumont sur Oise (95)

 

01.03.2010 Le salon  | Le concours de nouvelles | Les cafés littéraires | L'actualité |